C’est l’été, enfin un été sans la peste pulmobubonique comme je l'appelle. Vous savez ce truc qui tombe toujours bien veille de grandes vacances.
Il y a 2 ans l’Ambass, nous avait consigné sous 40° à l’ombre à cause de ce bidule, mélange de 2 virus, parti, je ne sais comment de Chine pour rebondir à Hong-kong et zigouiller au passage une centaine d’individus.
Ici au Cambodge aucun cas répertorié ! Le virus se propage par les crachas et postillons et en plus en cas de contacts prolongés. Il n y a pas grand risque de chopper ça, comme ça dans la rue, lors d’une partie de badminton, lors d’un dîner au chandelle, tout juste lors d’un combat de boxe thaï où vocifère une bande acharnée de parieurs, ou encore plaqué au sol sous la poigne d’une douce masseuse qui vient vous susurrer à l’oreille « et maintenant, vous pouvez vous retourner ».
Photo Eric Llopis
Bref, tout reste parfaitement non mesurable, nous n’avons pas vécu l’évènement dans le stress. Donc pas de panique en cas d’infos catastrophes, vous pouvez toujours tenter l’aventure au pays du sourire.
Et oui c’est juillet, vous, vous avez, malgré l’accalmie des grèves, les dopés du tour de France.
Pour nous, c’est le calme plat, j’ai zappé le rince col du nouvel Ambass pour le 14. Ceci dit, plutôt sympa le nouvel Ambass, franc, précis, qui capte même un tantinet trop vite.
Oui donc ! Rien comme grandes nouvelles. Même pas un saccage de l’ambassade de Thaïlande dans la capitale Phnompenhoise à se mettre sous la dent. Vous ne vous souvenez pas de ce malheureux et stupide évènement !
Les frontières se sont fermées, les blablas diplomatiques suspendus, bref tout ça est une histoire politique préélectoral montée semble t-il de toute pièce. En résumé et de manière imagée : une actrice thaïe a voulu jouer à Madonna en montrant ces fesses à une cohorte de khmers, qu’elle a traité de trou duc.
Résultat, les autorités ont crié au scandale, puis ont été débordées par des milliers de khmers décérébrés touchés au plus profond de leur nationalisme primaire. Ca a bardé.
Photo Eric Llopis
Voilà, c’est l’été, qui avance à toute trombe d’eau: J’ai repris le travail de prospection en forêt, la pluie lumineuse et démesurée qui s’abat, les godasses transformées en enclumes, la barbe mal rasée qui picote le mal séché.
Les filles, les chants, les rires, les frimousses ficelées, comme des oeufs de Pâques, par les kramas bariolés, font la trace en forêt.
Les fourmis rouges qui tombent des arbres, glissent et grouillent sous la chemise, planche à fakir qui mord comme des piques à tapas ; Ne pas lâcher prise sur la mire, la truelle, ou le coup-coup. L’habitude nous gagne, les morsures sont progressivement accompagnées de claques désordonnées. C’est tout le corps qui s’en va rythmer l’appel de la forêt d’une danse-saint-guy.
Le sol de la forêt jonché des troncs et racines coupés et dressés comme des piques, contribue à endiabler le pas de danse d’une eurythmie baroque ; Rester calme, ne pas jurer, ne pas vouloir tout de suite imiter la Castafiore, mettre un pied devant l’autre, ne penser qu’aux sourires des filles.
Ce sourire sur des lèvres rebondies et légèrement entrouvertes, une moue d’invitation fragile, le regard collé juste sous l'horizon de la bordure du bibi à demi incliné, pour faire semblant de voir sans être vu .
Cri qui monte sous le rideau d’eau plombée, une des délicieuses frimousse vient de glisser coup-coup en sabre à charge, sur une espèce de gros crapaud buffle, adieu veau, vache, cochon, couvée... sifflement dans l’air, schiiii... claquement roc et précis...schtouuuu... de rage le futur prince décapité n’est plus.
Un soir en rentrant du chantier, je quitte le groupe et la route des temples pour passer à l’école du village, ou les trois enfants dont je suis tuteur, vont bientôt arrêter l’école. Ce soir, c’est le dernier jour de classe.
J’ai rendez-vous avec la maîtresse pour allonger de quelques dollars le cours de leçons supplémentaires. Je pose la moto à l’entrée et j’avance dans la cour de l’école ; c’est un long silence, puis le vent monte le son dans l’embrasure de la fenêtre de classe, qui à chaque pas grossie. Je m’accoude au rebord de la fenêtre et je distingue dans le brouhaha, mes trois chipies, qui au beau milieu, mènent la foire. La porte s’ouvre, les gosses restent pétrifiés, le prof est arrivé.
Un autre jour, de retour par Angkor Thom, je croise au pied du Baphum, impressionnant puzzle en trois D, La Pièce Montée des missions de restauration française à l’étranger, Rithy Panh, qui tourne son certain regard sur les khmers. La rencontre est cordiale, l’homme est plutôt sympa, il se souvenait de mon courrier et de mon projet de film. On doit souper la semaine prochaine ensemble.
Virée au Kulen, samedi, hier après midi, avec mon copain JB histoire de retrouver la trace d’ateliers de potiers perdus au fond de la jungle. La présence des mines nous a cantonné sur les chemins étroits. On ne peut pas dire qu’on se sentait tout à coup très à l'aise. On a quand même retrouvé le site. Sous la végétation grouillante des tombereaux de tessons de grès dévalent la colline. Certainement que les fours sont enfouis dessous.
Retour en moto par des chemins étroits, bacs à sable, marécages, ponts éventrés, deux crevaisons en cadeaux et une arrivée nocturne, crotté et épuisé...
Aujourd’hui, c’est dimanche. Heureux de croiser ces quelques mots pour vous. Mais je dois vous quitter, en réalité faut même que j’me grouille car ce soir je fais casse croûte à la maison. Et oui les copains de retour de France ont glissé dans la malle, fromages et vins rouges. Imaginez les copains qui attendent en rêvant de poivrons grillés, croûte aux morilles, seiches à la plancha, côte de bœuf, jambon à l’échalote, magrets de canard, pommes sautées, mont d’or, malaga, baba au rhum : Ha ! le Baba au Rhum : cette glaçure pulpeuse, fluide et caramélisée, qui va coller aux lèvres, cette cuiller qui s’enfonce avant de couper la mousse rebondie comme un canapé, c’est le bonheur du baba au rhum.
Faut que j’me grouille donc car figurez vous que si pour le fromage ce ne sont pas des fortiches, les copains khmers de la soirée, attendent eux aussi le saucisson avec impatience. Et puis côté pinard, c’est pas les derniers non plus.
Eric Llopis